Paris redécouvre la Seine

Paris Seine - vue sur la tour effeil

Divisant la capitale en deux sous la forme d’un arc de cercle long de treize kilomètres, la Seine fait partie du paysage parisien. Décrite, chantée, peinte, photographiée et filmée par les artistes du monde entier, elle profite aujourd’hui d’un incroyable regain d’intérêt sur fond d’écologie et de qualité de la vie.

Qu’on la contemple de la Rive Gauche ou de la Rive Droite, de l’un de ses trente-sept ponts ou de l’une de ses deux îles, la Seine offre à Paris un visage multiple toujours empreint d’aventure et de mystère. Chacun y ajoute sa part de rêve, de connaissances plus ou moins historiques et son vécu. Il en va ainsi pour tous les fleuves de légende que rien n’arrête et qui savent nous rappeler à l’occasion qu’ils ont pour eux l’impressionnante puissance de la nature. Et bien que de tous temps, l’homme se soit appliqué à en maîtriser le cours – et notamment ses crues dont celle de 1910 qui a tant marqué les Parisiens – la Seine reste par ses dimensions (entre 3,40 et 5,70 mètres de profondeur et jusqu’à 200 mètres de large), un monde à part, vaste et vif où l’on navigue, sur lequel on habite aussi et dans lequel on se jette parfois pour y noyer un mal de vivre. C’est ainsi qu’à Paris peut-être plus qu’ailleurs, la Seine fait partie de la vie quotidienne des habitants. Et si l’on ne s’y baigne plus depuis 1923, si l’on n’y puise plus d’eau ni de poisson et si enfin on n’y lave plus son linge sur les bateaux lavoirs : on ne se lasse jamais de la contempler. Beaucoup y travaillent aussi. À l’entretien des berges, dans l’un de ses ports ou comme conducteur de péniches et bateaux dédiés au transport de marchandises ou au tourisme. En fait, plusieurs mondes cohabitent plus ou moins paisiblement sur ce fleuve également desservi par trois canaux avec lesquels il faut compter : le canal Saint-Martin, celui de l’Ourq et le canal Saint-Denis.

Premier port fluvial de France

Avec plus de vingt-deux millions de tonnes transportées par voie d’eau, Haropa* Ports de Paris est aujourd’hui le premier port fluvial de France et le deuxième en Europe. On le dit peu, mais dans le domaine du tourisme (transport de passagers, activités d’animation), il occupe aussi avec près de huit millions de passagers par an, la première place mondiale des ports touristiques. Ports de Paris se situe au cœur de l’hinterland des grands ports maritimes du Havre et de Rouen, mais constitue également un outil essentiel au fonctionnement logistique de l’Île-de-France, puisque près de 50 % de son trafic est réalisé entre ports franciliens. Le développement du trafic fluvial s’inscrit donc naturellement dans les objectifs du Grenelle de l’Environnement qui fixe une augmentation de 25 % des modes de transport alternatifs à la route. À deux pas de la tour Eiffel, tôt le matin, une grue du port de La Bourdonnais prélève dans une péniche, les conteneurs destinés aux rayons des magasins Franprix de la capitale. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres d’une économie du transport en pleine évolution sur fond d’écologie et notamment à Paris où l’objectif déclaré est la réduction de la présence des camions.

Le fret se développe

C’est dans cet esprit économico-écologique que Ports de Paris renforce et développe le réseau portuaire francilien pour offrir aux entreprises des installations portuaires adaptées. Pour y parvenir, Ports de Paris s’est également tourné vers les territoires franciliens, avec le lancement depuis 2012 de l’élaboration de schémas territoriaux de services portuaires. Cette démarche permet de se pencher sur les usages, potentiels et missions de chacun des soixante-dix ports franciliens, en reconstruisant consensus et vision commune de son avenir et de ses apports au territoire et aux habitants. Les axes de développement sont nombreux en Île-de-France : poursuite du développement des terminaux conteneurs, autour du hub de Gennevilliers, avec les terminaux de La Bourdonnais, au pied de la tour Eiffel et de Bruyères-sur-Oise actifs depuis 2012 ; accompagnement des filières en croissance, comme les éco-industries, l’agroalimentaire ou le secteur de la construction dans le cadre du Grand Paris ; poursuite de l’essor de l’activité touristique, déjà marquée en 2012 par la démarche collaborative Tourisme + et en 2013 par la piétonisation des voies sur berges en Rive Gauche de Paris ; de grands projets logistiques avec Port Seine Métropole à Achères, qui doit permettre de rééquilibrer la logistique francilienne vers l’ouest et de réduire efficacement les impacts environnementaux de ce secteur ; ou encore Triel, tourné avec son territoire vers l’éco-construction. Ces ambitions se sont dernièrement traduites dans un plan d’investissement de deux cents millions d’euros sur la période 2010-2015, incluant un volet environnemental ambitieux.

Le boom du tourisme fluvial

Depuis 1867, date de l’Exposition Universelle où sont apparus les premiers bateaux de transport de passagers sur la Seine, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts de Paris. Avec une première flotte de 30 bateaux construits à Lyon dans le quartier de La Mouche (Gerland), l’initiative fût tout de suite couronnée de succès. La revue « Fluvial », qui a consacré un article sur ce sujet, révèle qu’en 1868 les bateaux de Michel Félizat – constructeur ayant décroché le premier marché de transport fluvial à Paris – avaient déjà accueilli plus de trois millions et demi de passagers et qu’ils étaient, six ans plus tard, neuf millions à avoir utilisé ce moyen de transport. La compagnie florissante a rapidement suscité des vocations et de créations en regroupements, le nombre d’opérateurs officiant sur la Seine et les canaux parisiens n’a jamais cessé d’augmenter pour satisfaire une clientèle de plus en plus internationale ; le métro ayant depuis longtemps surpassé les navettes fluviales qui transportaient les Parisiens entre Suresnes et Charenton. La Compagnie des Bateaux-Mouches, Les Yachts de Paris, Les Bateaux Parisiens, Canauxrama, Les Vedettes du Pont-Neuf : les compagnies qui se partagent le marché sont nombreuses et leur offre touristique est de plus en plus pointue. Des Batobus qui remontent la Seine en neuf escales, en passant par les dîners gastronomiques de Yachts de Paris, les repas-spectacle, les visites commentées sur des thématiques précises (chasse au trésor) et les petites compagnies qui sur le mode des bateaux taxis vénitiens, proposent de transporter un nombre très limité de passagers sur d’élégantes vedettes en bois : le choix est aussi large que la gamme des tarifs. Compter de 10 à 16 € pour un pass d’une journée chez Batobus, à 440 € pour 2 personnes pour un apéritif aux chandelles d’une heure trente le week-end à bord d’un Pontoon Boat de la compagnie Green River Cruises. Et peut-être davantage encore chez River Limousine qui exploite un motoscafo en acajou verni… Bien que cette compagnie, comme d’autres d’ailleurs, n’affichent pas de tarifs en ligne. Et l’on comprend le dynamisme de ce secteur bien entretenu par Ports de Paris qui encourage toutes les initiatives.

Aujourd’hui, plus d’un touriste sur quatre dans la capitale profite des nombreuses offres de croisières et d’animations-loisirs proposées sur les voies navigables d’Île-de-France. La bonne santé des professionnels du secteur qui année après année, innovent pour répondre à la demande de l’ensemble des segments de clientèles françaises et étrangères, est au cœur de cette réussite. Depuis 2013, une dizaine de nouvelles croisières à thème sont organisées par les différentes compagnies : une chasse au trésor pour les enfants, la découverte des peintres impressionnistes, des dîners spectacles de plus en plus originaux… De plus, le réaménagement des berges a permis sur la Rive Droite, le développement d’activités de loisirs fluviaux. Deux nouveaux lieux ont ouvert : Le Faust sous le Pont Alexandre III, la terrasse des Nautes et le Batostar, sans oublier les berges Rive Gauche et le port d’Austerlitz. La croissance à deux chiffres de l’activité de croisière avec hébergement sur la Seine optimise par ailleurs l’activité avec une augmentation de plus de 20 % de la flotte de paquebots fluviaux.

Les berges de la Seine au cœur de toutes les attentions

En quelques années, les berges de Seine Rive Gauche sont devenues un espace de vie et de rencontres plébiscité par les Parisiens et les visiteurs. Avec plus de cinq millions de personnes accueillies, elles sont devenues l’un des nouveaux sites emblématiques de la capitale. Ceux qui s’y sont rendus, ont pu découvrir un espace modulaire et réversible, au service d’activités dédiées au sport, à la culture et à la nature avec une programmation particulièrement riche depuis le début de cette année. Le public a manifestement apprécié les Mikados, les Tipis d’anniversaire, les Zzz, la Douche sonore, les Terrasses à mille pattes, du Verger, du Zen, du Jardin Flottant Niki de Saint Phalle, de l’Emmarchement… « La boîte à outils » des Berges a permis au rythme des saisons, de moduler le site avec les différents éléments d’aménagement composés de matériaux simples et naturels comme le bois et les végétaux. Très revendiqué, l’esprit coopératif de la programmation s’est attaché à mettre en lumière les forces créatives de la ville et de la métropole. Les nombreux événements (expositions, projections, festivals, manifestations sportives) et les activités (ateliers artistiques, ateliers verts, coachings sportifs) en libre accès, rythment la programmation du site tout au long de l’année. Des projets d’expérimentations urbaines à caractère éphémère (installations artistiques, design urbain, projet graphique) menés par des écoles d’art ou de jeunes collectifs d’architectes, de designers ou encore de graphistes, ont aussi permis d’interroger et d’agrémenter l’espace public. On peut dire que les Parisiens et les touristes se sont réapproprié cet espace public qui présente un nouveau visage de la ville. Mais cela va plus loin. Pour l’équipe municipale, les Berges de Seine sont devenues un véritable label qui incarne un état d’esprit bien spécifique proposant une nouvelle approche de l’aménagement et de l’expérimentation de l’espace public.

Et maintenant… la Rive Droite !

Anne Hidalgo, Maire de Paris, a lancé le processus de concertation des Parisiens pour un aménagement des berges de la Rive Droite. Elle a notamment choisi d’expérimenter l’extension de la piétonisation des berges de la Seine, en aménageant la Rive Droite dans les 1er et 4e arrondissements. L’objectif – outre la lutte contre la pollution – est de donner aux Parisiens la possibilité de reconquérir davantage les rives du fleuve pour qu’elles deviennent un lieu de vie à part entière accueillant des activités culturelles, sportives et de loisirs. Cette décision on le sait, a fait polémique, principalement chez les élus de banlieue qui ont dû faire face au mécontentement de leurs administrés. Présidente de la Région, Valérie Pécresse a dénoncé pour sa part la « rapidité et la brutalité » de cette mesure qui pense-t-elle, est créatrice d’embouteillages. Le sujet fait donc encore débat. Des scénarios alternatifs de circulation routière sont proposés aux parties prenantes (Préfecture de police, Ville de Paris, Métropole du Grand Paris) : une voie « apaisée » à 30 km/h sur le quai bas, ou une voie classique à 50 km/h avec deux voies à 30 km/h sur le quai haut. Des « mesures compensatoires » pourraient également être financées par la Région et le Syndicat des Transports d’Ile-de-France.

Bastille, un port de plaisance au cœur de Paris

Paris - Bassin de l'ArsenalÀ quelques pas de la voie Georges Pompidou et séparé de la Seine par une écluse, le Bassin de l’Arsenal participe à sa façon à la reconquête de leur patrimoine aquatique par les Parisiens. Jadis dédié au déchargement de marchandises, le port de la Bastille est devenu port de plaisance en 1983. Un très chic port de plaisance de 180 emplacements où l’on accueille chaque année 1 500 bateaux de toutes tailles ou presque : jusqu’à 25 mètres de long pour les particuliers – la moyenne des embarcations tournant plutôt autour des quinze mètres – et jusqu’à quarante mètres pour les professionnels. Ici, entre 80 et 90 privilégiés bénéficient d’une convention annuelle qui, si elle oblige à 21 jours de sortie par an, permet le reste de l’année, de résider sur l’eau, bien protégé par des remous de la Seine et des curieux, par un système de vidéosurveillance. Pour Olivier Peresse, capitaine du port exploité par la société Fayolle, le bassin de l’Arsenal est un petit village. « Toutes les professions y sont présentes dit-il, quelques artistes bien sûr – le comédien Jean-Claude Dreyfus y fût un pensionnaire apprécié – et je connais chacun des occupants, qu’il soit en convention annuelle ou en hivernage (option qui permet de laisser son bateau à Paris, d’octobre à mai). Et nous avons de plus en plus d’étrangers, des Anglais notamment qui grâce à l’Eurostar peuvent profiter régulièrement de leur bateau et de Paris. » Le rôle de la capitainerie ? « On essaye d’être plus une conciergerie en répondant à toutes les demandes des plaisanciers. Nous sommes en plein cœur de Paris, les gens ont des poêles à bois : on livre donc du bois sur les bateaux, le gaz aussi… L’idée étant que les plaisanciers profitent de Paris pendant que nous nous occupons de l’intendance. Réservation de table au restaurant, ouverture de l’écluse la nuit (service payant à partir de 23 h 30 en été), sécurité assurée 24 h sur 24… Avec un tel programme, les places sont rares. Comptez environ trois ans d’attente pour un moins de quinze mètres et un peu plus pour un dix-neuf mètres à condition bien sûr d’être parfaitement aux normes et notamment équipé des fameuses cuves d’eaux grises et d’eaux noires. Ce service à un prix (consultable en ligne) : un peu plus de 1 000 € par mois pour un dix-neuf mètres sur la base d’un contrat annuel. Et pour répondre aux attentes de la ville de Paris (Fayolle est délégataire de service public), il est très ouvert aux étrangers : 28 nationalités différentes en ont profité en 2014. C’est la même entreprise qui gère le Bassin de la Villette, si proche à vol d’oiseau mais à 1 h 15 de navigation (9 écluses, 26 mètres de dénivelé). L’offre ici se limite aux postes d’hivernage et à 25 bateaux de moins de quinze mètres.

Bruno Lecoq

Habiter sur la Seine : une affaire de caractère

Associé dans l’agence « Eau et Patrimoine », Stéphane Bachot connaît parfaitement le marché des bateaux habitations à Paris.

Tentation – Comment se porte le marché des péniches à Paris ?
Stéphane Bachot – Il y a relativement peu de demandes et beaucoup d’offres. Plusieurs causes à cela : l’insécurité psychologique qui fait que les gens se reportent plutôt sur la pierre même quand ils ont de l’argent. Un bateau reste quelque chose dans lequel on investit quand on est dans une période d’enthousiasme, de perspectives. La deuxième raison, c’est qu’il y a de plus en plus de bateaux à vendre par des gens âgés qui quittent ce mode de vie.
T – Y’a-t-il un portrait type de l’acheteur ?
SB – Pas en termes socioculturel ou professionnel. Ce sont plutôt des gens qui ont comme caractéristiques communes un état d’esprit particulier : ils sont indépendants et ont un caractère très affirmé.
T – Et au niveau du pouvoir d’achat ?
SB – Il est plutôt élevé notamment parce que l’on ne peut financer à crédit son acquisition qu’à 50 %. C’est une première barrière. C’est la raison pour laquelle il est indispensable pour nous de bien connaître les candidats acheteurs, leur mode de vie, leur motivation et leur connaissance du fluvial. Sont-ils sensibles au fait que cela bouge, recherchent-ils plus une maison flottante qu’un bateau pour naviguer…
T – Il y a aussi le problème de l’emplacement. Les places ne sont pas cessibles normalement…
SB – Cet emplacement – qui correspond à une Convention d’Occupation Temporaire (COT) – est délivré pour cinq ans et pour les ports gérés par Ports de Paris (tous à l’exception de celui des Champs-Elysées géré par VNF). Cette Convention est renouvelée tacitement. Et c’est vrai qu’elle tombe au moment de la vente mais une fois que la mutation est faite, on redemande une convention et elle est donnée dans tous les cas. Cela fait d’ailleurs partie de notre mission d’y veiller.
T – Quel est l’intérêt de passer par une agence alors qu’il y a plein de bateaux à vendre sur le net ?
SB – Nous accompagnons aussi bien les vendeurs que les acheteurs, du début jusqu’à la fin… C’est-à-dire quand tous les problèmes pratiques, techniques, administratifs et réglementaires sont résolus. Cela peut prendre jusqu’à un an après la vente…
T – Quel est le budget pour acquérir une péniche avec un emplacement autorisé sur la Seine à Paris ?
SB – Tout dépend de sa taille. Mais disons que pour un bateau pour vivre à deux, il faut compter entre 350 000 et 400 000 € minimum. Après, on peut dépasser le million d’euros pour des péniches beaucoup plus habitables.
T – Quel type de bateau est le plus recherché ?
SB – La tendance est aux lofts sur l’eau de l’ordre de 200 m2 avec terrasse… Avec cette particularité c’est qu’il est toujours possible d’agrandir la surface habitable de 15 %, conformément à un arrêté du 31 mars 2012.
T – Toutes les péniches amarrées sur les quais de Seine à Paris ne bénéficient pas de COT. À combien estimez-vous les contrevenants ?
SB – À 20 %… Et plus si l’on retient qu’une COT est considérée comme n’ayant jamais existé si le bateau n’a pas de certificat communautaire…

Propos recueillis par Bruno Lecoq

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